L’histoire maritime est parsemée d’événements marquants, de découvertes étonnantes et de tragédies inoubliables. Parmi ces dernières, l’incendie du pétrolier Port-Manech le 18 janvier 1965 en rade du Havre occupe une place particulière. Cet incident, qui a entraîné la perte de vies humaines et un désastre environnemental, a marqué un tournant dans la prise de conscience de la sécurité maritime et la gestion des risques en mer.
Le Port-Manech, un caboteur de 2800 tonnes de port en lourd, avait chargé 2500 tonnes de supercarburant aux appontements d’Orcher à destination de Caen. Cette nuit-là, une série d’événements malheureux a conduit à une collision avec le cargo U.S Lucile Bloomfield, déclenchant un incendie dévastateur qui a rapidement englouti le pétrolier et ses précieuses cargaisons.
Dans cet article, nous allons explorer en détail les circonstances de cette tragédie maritime. Nous examinerons les événements de cette nuit fatidique, les efforts de sauvetage héroïques qui ont suivi, et les conséquences à long terme de cet incident sur la sécurité maritime. Nous plongerons également dans les détails de l’enquête qui a suivi et les leçons qui ont été tirées de cet événement tragique.
Le pétrolier Port-Manech
Le Port-Manech était un pétrolier de taille modeste mais d’une importance cruciale pour l’économie maritime de l’époque. Il était armé par la SOFLUMAR, une entreprise française spécialisée dans le transport maritime de produits pétroliers. Avec un port en lourd de 2800 tonnes, le Port-Manech était un caboteur, un navire conçu pour le transport de marchandises sur de courtes distances, souvent le long des côtes.
Le navire a été construit en Norvège en 1953 par le chantier Drammen Slip Verksted, où il a été baptisé sous le nom d’Elisabeth Amlie. Cependant, en 1960, le navire a été francisé, c’est-à-dire enregistré sous le pavillon français, et a reçu son nouveau nom, le Port-Manech. Ce processus de francisation a permis au navire de bénéficier des protections et des avantages accordés aux navires sous pavillon français, tout en renforçant la flotte maritime française.
Le jour de l’incident, le 18 janvier 1965, le Port-Manech avait chargé une cargaison importante de 2500 tonnes de supercarburant. Le navire avait quitté les appontements d’Orcher et se dirigeait vers Caen, une ville située dans le nord-ouest de la France. Cette cargaison de supercarburant, un produit hautement inflammable, a joué un rôle déterminant dans la tragédie qui allait suivre.
Le Port-Manech, malgré sa taille relativement modeste, était un acteur clé dans le transport de produits pétroliers le long de la côte française. Sa perte a non seulement eu des conséquences tragiques pour l’équipage à bord, mais a également eu un impact significatif sur l’industrie maritime de l’époque.
La nuit du drame
La nuit du 18 janvier 1965 a commencé comme une nuit ordinaire pour l’équipage du Port-Manech. Le temps était clair et la mer calme, légèrement houleuse. Le navire avait quitté les appontements d’Orcher et naviguait en direction de Caen, transportant sa précieuse cargaison de supercarburant. Cependant, cette nuit allait rapidement se transformer en une des plus tragiques de l’histoire maritime française.
Le Port-Manech n’était pas le seul navire en mer cette nuit-là. Le cargo U.S Lucile Bloomfield, en provenance de Southampton, faisait route pour entrer au Havre après avoir pris le pilote à l’entrée du chenal. Le Port-Manech était précédé dans le chenal par le cargo espagnol Picogris et suivi par le bateau pilote Francoyse de Grâce.
Vers 21h37, alors que le Port-Manech approchait des bouées A3-B3, le commandant a décidé de venir en grand sur la gauche pour traverser le chenal et faire route sur les bouées d’Ouistreham à l’entrée du canal de Caen. Il a signalé sa manœuvre par deux coups de sifflet brefs qu’il a renouvelés cinq fois. Au même moment, le commandant et le pilote du Lucile Bloomfield, qui venaient de croiser le Picogris, ont aperçu le Port-Manech qui leur coupait la route.
Malgré les tentatives de manœuvre pour éviter la collision, le cargo Lucile Bloomfield a heurté le pétrolier au niveau du château. Le choc a été violent, l’étrave du cargo s’est enfoncée de plusieurs mètres dans le Port-Manech. Une explosion s’est produite presque immédiatement, et le pétrolier s’est enflammé de l’avant du château jusqu’à l’avant du bloc dunette. Le feu s’est rapidement propagé sur le Lucile Bloomfield, jusqu’à hauteur de la passerelle.
Cette collision a marqué le début d’une tragédie maritime qui a coûté la vie à plusieurs marins et a laissé une marque indélébile dans l’histoire de la sécurité maritime.
L’incendie et ses conséquences
L’explosion qui a suivi la collision entre le Port-Manech et le Lucile Bloomfield a déclenché un incendie dévastateur. Le feu a rapidement englouti le pétrolier, s’étendant de l’avant du château jusqu’à l’avant du bloc dunette. La mer autour des navires s’est rapidement transformée en un brasier, recouverte d’une nappe d’essence enflammée qui a enveloppé le Port-Manech à la dérive.
Face à cette situation désespérée, le commandant du Port-Manech a organisé l’évacuation du navire. L’équipage, composé de vingt-cinq officiers et marins, ainsi que deux passagères non inscrites sur le rôle d’équipage, a été divisé en deux groupes. Un groupe se trouvait à l’avant du navire, tandis que l’autre était à l’arrière, tentant de mettre une embarcation à la mer.
Malgré les efforts héroïques de l’équipage et des sauveteurs, les conséquences de l’incendie ont été tragiques. Dix-neuf hommes et une femme ont été ramenés à terre par le bateau-pilote Françoyse de Grâce et le bateau-pilote de Rouen. Ils ont été immédiatement dirigés vers l’hôpital. Malheureusement, deux d’entre eux ont succombé à leurs brûlures, et cinq autres ont été portés disparus.
En termes de pertes matérielles, le Port-Manech a été complètement détruit par l’incendie et a fini par s’échouer sur les falaises d’Octeville. Le Lucile Bloomfield, bien que gravement endommagé, a réussi à maîtriser l’incendie et a fait route vers le port.
L’incendie du Port-Manech a non seulement entraîné la perte de vies humaines et la destruction d’un navire, mais a également eu un impact environnemental significatif. La mer a été recouverte d’une nappe d’essence enflammée, et l’épave du Port-Manech, contenant encore des milliers de litres d’essence, a été jugée si dangereuse qu’elle a dû être dynamitée le 13 février suivant.
Cette tragédie a laissé une marque indélébile dans l’histoire maritime, soulignant la nécessité d’une sécurité accrue et d’une meilleure gestion des risques en mer.
Les opérations de sauvetage
Face à la catastrophe en cours, plusieurs acteurs se sont mobilisés pour porter secours à l’équipage du Port-Manech et tenter de contenir l’incendie. Parmi eux, plusieurs remorqueurs des « Abeilles » et le canot de sauvetage des « Hospitaliers Sauveteur Bretons » se sont rapidement rendus sur le lieu de l’abordage.
Le bateau-pilote Françoyse de Grâce, qui suivait le pétrolier, a joué un rôle crucial dans les opérations de sauvetage. Il a mis deux pilotines à la mer et, assisté par le bateau-pilote de Rouen, a réussi à ramener à terre dix-neuf hommes et une femme. Ces survivants ont été immédiatement dirigés vers l’hôpital pour recevoir les soins nécessaires.
Parallèlement aux efforts de sauvetage, des mesures ont été prises pour contenir l’incendie et minimiser les dégâts. Le commandant du Lucile Bloomfield, malgré les dommages subis par son navire, a réussi à maîtriser l’incendie à bord et a fait route vers le port.
Ces opérations de sauvetage ont été menées dans des conditions extrêmement difficiles, avec une mer recouverte d’une nappe d’essence enflammée et un navire en feu à la dérive. Malgré ces défis, les sauveteurs ont fait preuve d’un courage et d’une détermination remarquables, mettant leur propre vie en danger pour sauver celle des autres.
Ces efforts héroïques ont permis de sauver de nombreuses vies et de minimiser autant que possible les conséquences de cette tragédie. Ils ont également souligné l’importance de la préparation, de la coordination et du courage face à une catastrophe maritime.
L’épave du Port-Manech
Après l’incendie dévastateur et les tentatives de sauvetage, le Port-Manech, toujours en flammes, a commencé à dériver. La mer, agitée par le feu et l’essence enflammée, a poussé le navire vers les falaises d’Octeville. C’est là que le Port-Manech, autrefois un acteur clé du transport maritime de produits pétroliers, a fini son voyage, échoué et en flammes.
L’état de l’épave était désastreux. Le feu avait ravagé le navire, laissant peu de choses intactes. De plus, l’épave contenait encore des milliers de litres d’essence, ce qui la rendait extrêmement dangereuse. La mer autour de l’épave était également contaminée par l’essence, créant un risque environnemental significatif.
Face à cette situation, des mesures ont été prises pour neutraliser l’épave et minimiser les risques. Le 13 février, près d’un mois après l’incident, l’épave du Port-Manech a été dynamitée. Cette opération visait à éliminer les restes d’essence et à réduire le risque d’autres explosions ou incendies.
Malgré ces efforts, l’épave du Port-Manech est restée un rappel sombre de la tragédie. Les corps de quatre marins portés disparus ont été retrouvés à bord, ajoutant une note encore plus tragique à l’incident.
L’épave du Port-Manech et son échouage sur les falaises d’Octeville sont des témoignages poignants de la tragédie qui s’est déroulée cette nuit-là. Ils rappellent les risques inhérents à la navigation maritime et l’importance de la sécurité et de la préparation en mer.
L’enquête et les responsabilités
Suite à la tragédie, une enquête a été menée par le tribunal maritime du Havre pour déterminer les responsabilités de cet incident dévastateur. L’objectif de cette enquête était de comprendre les circonstances exactes de la collision et de l’incendie, et d’identifier les erreurs ou les négligences qui auraient pu contribuer à la catastrophe.
L’enquête a examiné en détail les événements de la nuit du 18 janvier 1965, depuis le chargement du supercarburant sur le Port-Manech jusqu’à la collision avec le Lucile Bloomfield et l’incendie qui a suivi. Elle a également pris en compte les actions de l’équipage et des autres navires présents cette nuit-là, ainsi que les conditions météorologiques et maritimes.
L’enquête a révélé une série de décisions et de circonstances malheureuses qui ont conduit à la collision et à l’incendie. Parmi elles, la décision du commandant du Port-Manech de traverser le chenal pour faire route sur les bouées d’Ouistreham à l’entrée du canal de Caen, malgré la présence d’autres navires dans le chenal.
Cependant, l’enquête a également souligné que la responsabilité de la catastrophe ne pouvait être attribuée à une seule partie. La collision et l’incendie étaient le résultat d’une combinaison de facteurs, y compris les décisions prises par les commandants des deux navires, les conditions en mer cette nuit-là, et la nature hautement inflammable de la cargaison du Port-Manech.
L’enquête menée par le tribunal maritime du Havre a permis de tirer des leçons importantes de cette tragédie. Elle a souligné l’importance de la prudence et de la communication en mer, en particulier lors de la navigation dans des chenaux étroits ou encombrés. Elle a également mis en évidence les risques associés au transport de produits inflammables et la nécessité de mesures de sécurité renforcées pour ces types de cargaisons.