Capitaine
courageux

Le
26 Décembre 1951 une rude tempête balaie l'Atlantique
Nord. Pris dans la tourmente, le cargo américain Flying
Enterprise lutte désespérément contre les
éléments déchaînés au suroît de l'Irlande. Sous l'assaut
de vagues gigantesques le navire est rapidement en
perdition, des fissures et une voie d'eau se déclarent
dans sa cale avant. Il prend rapidement une forte
gîte.
Les
35 membres de équipage et quelques passagers sont
rapidement évacués dans une mer démontée. Mais son
capitaine Kurt Carlsen ne peut se résoudre à abandonner
son navire tant qu'il flotte ! La gîte augmente de
jour en jour . Le temps est exécrable, le fameux remorqueur
anglais Turmoil ne peut passer sa remorque
que le 5 Janvier. Le commandant Carlsen étant seul
à bord pour aider à la manœuvre !
Le
remorqueur de sauvetage français Abeille 25
est aussi sur les lieux et reste à proximité, paré
à porter assistance en cas de besoin.
Au
matin du 9 Janvier, l'amarre se rompt à 90 kilomètres
de Falmouth. Le commandant Carlsen est toujours à
bord du Flying Enterprise avec le second capitaine
du Turmoil. Le navire est couché sur son côté bâbord
et s'enfonce de plus en plus. Le 10 Janvier le vent
souffle en ouragan, le capitaine Carlsen et le second
du Turmoil rampent sur la cheminée presque
à l'horizontale et sautent à l'eau à 15H00. Ils sont
repêchés transis et fourbus par le remorqueur ! Le
Flying Enterprise sombrera une heure plus tard
à 16H11.
Son
commandant sera accueilli en héros à Falmouth. Le
dessin le représentant seul, agrippé à la coque de
son navire fera le tour du monde… " Radar " l'hebdomadaire
Français bien connu à l'époque en fait sa première
page.
Autres
temps, autres mœurs ! Cinquante cinq ans après cette
épopée, presque jour pour jour, l'équipage du MSC
Napoli et son commandant, ont abandonné le super
porte conteneurs en détresse le jeudi 18 Janvier 2007.
Les 26 marins ont quitté le navire avec les embarcations
de sauvetage du bord, prenant de ce fait de gros risques,
avant même que les hélicoptères arrivent ! Le navire
sera pris en remorque le jour même par l'Abeille
Bourbon et échoué volontairement sur une plage
du Devon dans le sud de l'Angleterre, trois jours
plus tard !
Faut-il
en vouloir aux marins du MSC Napoli qui connaissaient
peut-être le passé composé, cabossé de leur navire
et sa possible fragilité de structure , d'avoir cédé
à un moment de panique ? Bien sûr que non. Ils craignaient
à juste titre qu'il se casse en deux très rapidement,
les engloutissant corps et âmes . Notons qu'il se
trouvait dans la même zone où , en Mars 1981, le pétrolier
Malgache Tanio se brisa en deux, dans de semblables
conditions de mer et après aussi de grosses réparations
de sa coque.
Le
transport maritime a changé. Sur les navires surtout.
On ne peut critiquer ce réflexe précipité mais bien
humain pour sauver sa peau. Ils sont tous sains et
saufs . C'est le principal.
Mais
force est constater qu'il n'y a plus ou si peu, cet
esprit d'équipage et encore moins d'esprit compagnie
qui par le passé, soudaient les marins à leur navire
, à leur armateur. Les équipages multi-ethniques constitués
de bric et de broc par des sociétés spécialisées de
gérance des personnels, avec des effectifs insuffisants,
instables , manquant trop souvent de qualification,
causent de graves problèmes au niveau de la sécurité
du transport maritime . La pénurie généralisée de
marins au niveau mondial ne fait qu'aggraver la situation.
Les
vrais armateurs sont désormais hélas une minorité
et les Capitaines Carlsen plus rares. Peut-on aussi
assurer que, transposé en 2007, Kurt Carlsen aurait
eu cette même attitude héroïque ? Rien n'est moins
sûr ! Les temps changent, les hommes aussi.
Quoiqu'il
en soit, il faut que l'Europe prenne une fois pour
toutes l'exacte mesure de cette menace et se donne
les moyens pour la contrer, en hommes et matériels
: Une taxe au tonnage des marchandises transportées
transitant dans les ports de l'Union s'impose. Elle
alimentera un budget conséquent et nécessaire pour
l'Agence Européenne de Sécurité Maritime et son bras
armé la future Garde-Côtes Européenne intégrée que
tous les marins réclament pour mettre de l'ordre sur
mer et dans les ports, de la Baltique à la Mer Noire.
Autre sujet de préoccupation, réclamant toute notre
vigilance : L' ancien super tanker de 300.000 tonnes
Limburg, gravement endommagé lors d'un attentat
Kamikaze au Yémen, a été réparé et navigue toujours.
Il se pourrait que le Maritime Jewel , c'est
son nouveau nom, vienne à circuler dans nos eaux communautaires
un de ces jours, à pleine charge !
La
fortune de mer du porte conteneurs met aussi en lumière
le problème des zones de refuge ! Les Britanniques
ont accepté la venue du convoi dans leurs eaux pour
l'échouer sur la plage de Brandscombe dans une baie
classée au patrimoine de l'humanité ! Décision courageuse
des autorités qu'on ne peut que louer : Bravo. Il
est vrai que ce navire battait pavillon britannique
et que cette baie refuge du Sud de l'Angleterre est
bien abritée des vents du Nord soufflant actuellement
!
Essayons
d'imaginer ce qui se serait passé si le MSC Napoli
avait connu ses ennuis au milieu du Golfe de Gascogne
par une forte tempête de suroît : L'Abeille Languedoc
(en station dans le Golfe) l'aurait pris en remorque
pour le ramener soit en rade de Brest pour mise directe
au bassin de radoub, tirant d'eau permettant, ou alors
le tracter en baie de Douarnenez pour l'échouer volontairement
sur la Lieue de Grève ! Comment aurait alors réagi
les populations côtières ?..
Michel Bougeard
. Capitaine au Long Cours
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