Plaidoyer pour
le paquebot "France"
En 1969, il était question
d'arrêter l'exploitation des paquebots gérés
par les compagnies nationalisées. Compagnie générale
Transatlantique et Messageries Maritimes. Le Paquebot France était
déjà dans la ligne de mire. Monsieur Jean BRICOURT
alors Secrétaire Général de la Transat avait
pris sa défense.
" Que le gouvernement se penche
actuellement sur le cas des entreprises nationalisées qui
reçoivent des crédits de l'Etat, ce n'est pas un secret
pour personne. Nous sommes effectivement une compagnie conventionnée,
donc sbventionnée. Notre convention prévoit l'exécution
de services maritimes d'intérêt général,
sur l'Atlantique nord, les Antilles et la Corse. La subvention de
l'Etat ( qui est de 124,4 millions pour la Transat et les Messageries
Maritimes réunies) contribue à nous permettre d'assurer
ces charges.
Sur la Corse, notre expansion est
continue: nous avons transporté 515.000 passagers et 120.000
voitures en 1968. Nous pensons atteindre 570.000 passagers cette
années. Ceci grâce au quatre car-ferries que nous avons
récemment mis en service et dont nous avons assuré
nous même le financement (125 millions de francs) pour faire
face à nos obligations contractuelles. Nous allons étendre
notre activité en créant avec la Compagnie de Navigation
Mixte, la Compagnie Générale Transméditerranéenne,
ce qui nous permettra une meilleur rationalisation du matériel.Mais
ce traffic est saisonnier, trois mois par an à plein, 9 mois
de creux où nous essayons de combler notre déficit
en partie par des rotations sur l'Afrique du Nord.
Déficit qui est accru par
les prix très bas que nous pratiquons: alignement sur la
S.N.C.F, nous devons consentir les mêmes réductions,
les mêmes billets de congés payés. Notre subvention
ne couvre pour la Corse que ce manque à gagner sur les tarifs.
Seconde obligation contractuelle:
depuis plus de cent ans nous assurons sur les Antilles, comme sur
l'Atlantique Nord, une ligne d'intérêt général.
Par raison d'économie, nous avons supprimé de nous-même,
l'an dernier le paquebot "Flandres". Nous avions sur cette
ligne six paquebots avant-guerre. Il ne nous reste plus qu' "Antilles".
Son coefficient de remplissage est
de 80 %. A son dernier départ, il était même
de 100 % . Ce paquebot qui date de 1952, est arrivé cette
année en fin d'amortissement et il a encore dix bonnes années
devant lui. Il répond donc parfaitement à nos besoins,
et comme paquebot de ligne, et comme paquebot de croisière:
Air France et la PANAM nous drainent sur place une clentèle
française et américaine chaque année plus importante.
Et nous venons nous-même de réduire ses charges en
réduisant de 20 % son personnel.
Troisième obligation contractuelle:
La ligne de New York. "France" a été construit
en 1962 en application d'un cahier des charges très précis
pour remplacer "Liberté" et "Ile de France"
(avant guerre nous mettions en ligne six paquebots sur l'Atlantique
Nord). Ce paquebot a coûté 33 milliars d'AF soit le
prix de trois Concorde seulement, et nous l'avons financé
entièrement seuls. L'aide à la construction navale
dont a bénéficié le chantier constructeur a
seulement permis d'offrir le navire à un prix concurrentiel
par rapport aux chantiers étrangers.
La suppression pure et simple de
"France" par décision gouvernementale équivaudrait
à une rupture de contrat. Son amortissement étant
calculé sur 17 ans, l'Etat aurait ainsi à nous verser
un dédommagement d'environ 20 milliards d'AF, ce qui est
impensable.
Impensable à plusieurs titres.
Le vendre, mais à qui? Certes,
son succès commercial et sa qualité technique en ferait
une pièce de choix: il est depuis 7 ans le paquebot le plus
coté du monde.
Au cours de ces sept années
de service, son coefficient de remplissage a été supérieur
à 80 % sur la ligne et de 93 % sur les croisières
( sur l'atlantique, le coefficient moyen de remplissage des avions
n'est que de 55 %) Même l'an dernier, avec les mesures prises
par le président Johnson pour décourager les touristes
américains, les grèves de mai-juin, la position anti-américaine
de la France, etc., le coefficient, s'il a baissé de 80 à
65 %, a été supérieur à celui de tous
ses concurrents.
Avec le dégel des relations
franco-américaines, avec la reprise des affaires chez nous,
nous pensons réaliser une bonne année 1969. Car il
ne faut pas oublier que 85 % de nos passagers sont étranfers,
Américains pour la plupart. "France" offre donc
un apport très positif en devises.(1)
De plus, outre les qualités
de service reconnu dans le monde entier, "France" est
un instrument de prestige sans égal; à chacune des
ses escales , en Atlantique, aux Caraïbes, en Méditerrannée,
nous sommes obligés de refuser des visiteurs.
Arguments économique et financier
important, il donne aussi un produit brut non négligeable
qui permet de soulager une partie des charges de la compagnie.
Enfin, "France" est une
véritable ville flottante, qu'on ne peut effacer de la carte
du jour au lendemain. C'est une ville de 3000 personnes à
nourrir, une usine technique de 160.000 cv à entretenir,
un hôtel de 1.000 chambres à faire fonctionner. A chaque
escale, par exemple, on débarque 40 tonnes de linge sale,
on embarque 40 tonnes de linge propre. Et tout doit être fait
lors de l'escale, c'est à dire en deux jours.
Les seuls ateliers de la COGER du
Havre qui assurent l'entretien technique, disposent de 700 personnes
dont la moitié prend possession du bateau avant chaque départ.
Nous avons amélioré leur rentabilité d'au moins
20 % en faisant des travaux de diversification, comme du matériel
de dessalement de l'eau de mer.
Il est donc impensable de supprimer
tout cela d'un trait de plume. De toutes façons, nous avons
à côté des paquebots une importante flotte de
cargos, plus de 50 navires, et, subvention comprise, la part que
représente "France" dans nos 800 millions de chiffre
d'affaires, ne dépasse pas 7 à 8 %.
-1. La recette 1969 était
de 129.366 576 FF
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